Le 20 juin 2024

Effet de l’âge relatif sur l’initiation d’un traitement par méthylphénidate et sur le recours à l’orthophonie

Effet de l’âge relatif sur l’initiation d’un traitement par méthylphénidate et sur le recours à l’orthophonie en France chez les enfants de 5 à 10 ans

Contexte

En France, les enfants d’un même niveau de scolarité ont jusqu’à 12 mois d’écart d’âge en l’absence de redoublement, une différence relative très importante durant les premières années. Ainsi les enfants ayant eu 6 ans au cours d’une année civile sont rentrés au cours préparatoire (CP) début septembre de cette même année ; l’enfant né en décembre a en moyenne 11 mois de moins que celui né en janvier, soit un écart d’âge relatif de -13% entre 5 ans et 9 mois d’une part et 6 ans et 8 mois d’autre part. L’effet de l’âge relatif au sein d’un même groupe est largement connu en sciences de l’éducation avec des performances scolaires globalement inférieures pour les plus jeunes et qui peuvent persister parfois à l’âge adulte. Cet effet est également décrit dans les milieux sportifs de haut niveau avec moins de sélection en équipe nationale dans les sports collectifs et des résultats inférieurs dans les sports individuels pour les moins âgés d’une catégorie sportive d’âge. En revanche l’effet d’âge relatif a été relativement peu décrit dans la littérature internationale dans le domaine médical, en dehors du cas bien documenté de la prescription de psychostimulants comme le méthylphénidate dans le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité de l’enfant (TDAH), avec néanmoins très peu de données françaises. Cela n’a jamais été étudié à notre connaissance pour la rééducation orthophonique. Méthylphénidate et orthophonie sont deux traitements potentiellement liés à la maturation neurologique du système nerveux central de l’enfant.

 

Notre objectif était de quantifier l’effet de l’âge relatif sur l’initiation de traitements médicamenteux par méthylphénidate et le recours à la rééducation orthophonique.

 

Méthodes

Une étude de cohorte nationale prospective en population menée à partir du Système National des Données de Santé (SNDS) a inclus les enfants nés en France de 2010 à 2016. La date d’entrée dans la cohorte correspondait au 1er septembre de l’année civile des 5 ans avec un suivi jusqu’au 31 juillet des 10 ans ou jusqu’à la fin de l’étude (31/07/2022). Les enfants ayant déjà eu avant l’entrée dans la cohorte divers diagnostics comme des anomalies chromosomiques, des malformations congénitales, des troubles mentaux, du comportement ou du développement, ou une prescription de méthylphénidate, ou d’autres psychotropes, ou une rééducation orthophonique ont été exclus de l’étude (soit 88 870 enfants (1,8%) pour l’étude de l’initiation de méthylphénidate et 669 722 enfants (13,8%) pour l’étude des nouveaux recours à l’orthophonie).

Les associations entre mois de naissance (variable discrète permettant d’approcher les écarts d’âge au sein d’une même classe) et initiations de méthylphénidate ou d’un recours en orthophonie ont été estimées par des modèles de Cox. Des analyses de sous-groupes ont été réalisées selon le sexe, l’âge gestationnel, le rang de naissance et le niveau socio-économique. Des analyses complémentaires ont étudié l’influence du niveau de scolarité, de l’année d’inclusion et du milieu scolaire en introduisant un événement contrôle négatif (l’initiation de desmopressine indiquée principalement dans l’énurésie nocturne). Les variables concernant la mère et la période néonatale étaient celles du registre de données EPI-MERES, lui-même extrait du SNDS.

 

Résultats

Parmi 4 769 837 enfants inclus 38 794 (0,8%) ont débuté un traitement par méthylphénidate (taux d’incidence 2,3/1000 personnes-années -PA-). Parmi 4 188 985 enfants inclus pour l’étude recours à l’orthophonie 692 086 (16,5%) ont eu des séances d’orthophonie (53,1/1000 PA).

 

Parmi les enfants d’un même niveau de scolarité, l’initiation de méthylphénidate et d’orthophonie augmentait régulièrement selon le mois de naissance de janvier à décembre. Comparés aux enfants nés en janvier, les natifs de février avaient 7% de risque supplémentaire de se voir prescrire du méthylphénidate, ceux d’avril 9%, ceux de juillet 29%, ceux d’octobre 46% et ceux de décembre 55%. Les mêmes tendances ont été observées concernant les séances d’orthophonie, dont le recours augmentait de 3% chez les enfants nés en février, de 12% chez les natifs d’avril, de 30% chez ceux de juillet, de 49% chez ceux d’octobre et de 64% pour ceux nés en décembre, tous étaient comparés aux enfants dont les naissances avaient eu lieu en janvier de la même année. L’effet de l’âge relatif sur l’initiation d’un traitement par méthylphénidate était plus marqué à partir du CE1 (7 ans) ; quant à la rééducation orthophonique l’effet était amplifié dès la grande section de maternelle (5 ans). Par rapport aux enfants nés en janvier de l’année n+1 les enfants nés en décembre d’une année n (naissance un mois avant), avaient un risque augmenté de 36% d’initier un traitement par méthylphénidate et de 69% de recourir à l’orthophonie. Les parts attribuables du méthylphénidate et de l’orthophonie liées uniquement à l’effet de l’âge relatif (calculées en considérant l’ensemble des risques observés pour les enfants nés aux 2ème, 3ème et 4ème trimestres par rapport aux enfants nés au premier trimestre) sont de 20% et 22%.

 

Les tendances pour l’effet d’âge relatif ont été similaires dans les analyses de sous-groupes et selon l’année d’entrée dans l’étude. L’effet du mois de naissance n’a pas été observé sur l’initiation de desmopressine.

 

Par ailleurs pour la prescription de méthylphénidate notre étude retrouvait, après ajustement, des facteurs de risque rapportés dans la littérature internationale comme le sexe masculin (hazard ratio ajusté -HRa- 3,49), la prématurité (HRa jusqu’à 3,26 pour l’extrême prématurité), le faible poids pour l’âge gestationnel (HRa 1,46 pour un poids très faible), l’exposition in utero au tabac (HRa 1,53), à l’alcool (HRa 1,65), à un traitement psychotrope (HRa 1,74), à l’acide valproïque (HRa 1,52), être le premier de la fratrie versus le second (HRa 1,09). Il existait aussi des écarts selon le lieu de résidence : le fait d’habiter dans une commune plus favorisée (HRa 1,20) ou appartenant à une zone urbaine de moins de 200 000 habitants (HRa 1,20). Le risque d’initier du méthylphénidate variait selon les régions.

 

Des écarts importants étaient observés entre départements d’Île-de-France pour la Seine-Saint-Denis (-50%) et dans le Val-d’Oise (-30%) par rapport à Paris.
Pour la prise en charge en orthophonie, après ajustement, les facteurs significativement associés à une augmentation du risque étaient le sexe masculin (HRa 1,28), la prématurité (HRa 1,71 pour l’extrême prématurité), le faible poids pour l’âge gestationnel (HRa 1,18 pour un poids très faible), l’exposition in utero au tabac, à l’alcool, à un traitement psychotrope, à l’acide valproïque durant la grossesse (augmentation du risque allant de 10% à 19%), de ne pas être né premier au sein de la fratrie (risque augmenté de 15% pour le deuxième enfant à 19% pour le 3ème enfant ou les suivants). Il existait encore plus que pour le méthylphénidate des écarts selon le lieu de résidence : le fait d’habiter dans une commune plus favorisée (HRa 1,41) ou appartenant à une zone urbaine de plus de 200 000 habitants (HRa 1,05). Par rapport à la région Pays de la Loire, le taux d’initiation était bien inférieur en Île-de-France (d’environ 40%) particulièrement en Seine-Saint-Denis (-53%), Seine-et-Marne (-50%), Essonne (-49%), Val-de-Marne (-43%), et dans le Val-d’Oise (-43%).

 

Discussion

Cette étude, réalisée sur une population quasi exhaustive de plus de 4 millions d’enfants suivis de 5 à 10 ans, a permis de mettre en évidence qu’en France, les enfants les plus jeunes au sein d’une classe scolaire sont plus susceptibles de recourir à un traitement par méthylphénidate ou à l’orthophonie que les enfants plus âgés. L’amplitude de l’effet est importante, et, pour le méthylphénidate, du même ordre de grandeur que dans de larges études internationales effectuées dans des pays où le taux de prescription est plus élevé qu’en France (ex. États-Unis, Canada, Australie, Norvège). Il n’existe à notre connaissance pas d’autres données concernant l’effet d’âge relatif sur le recours à l’orthophonie.

Les résultats de notre étude allaient à l’encontre d’un mécanisme biologique qui aurait relié la saison de la naissance à l’incidence du TDAH et des troubles spécifiques du langage et des apprentissages et leur prise en charge et suggéraient une influence potentielle du milieu scolaire (absence d’effet d’âge relatif associé à un événement contrôle négatif) pour expliquer l’effet observé de la période de naissance. Les plus jeunes enfants d’une classe pourraient être confrontés à des exigences trop élevées particulièrement au cours des premières années d’école et plus susceptibles d’être diagnostiqués TDAH ou avec des troubles des apprentissages. Dans d’autres travaux réalisés dans des pays où l’âge d’entrée à l’école est plus flexible (ex. Danemark, Australie, Israël, Écosse) l’effet d’âge relatif n’était pas observé ou plus modéré pour la prise en charge du TDAH allant dans le sens de cette hypothèse.

 

Une moindre probabilité ou un retard de prise en charge du TDAH et des troubles spécifiques du langage et des apprentissages chez les enfants les plus âgés de la classe (ayant une plus grande maturité) pourrait aussi expliquer l’effet d’âge relatif observé, particulièrement dans un contexte d’offre de soins limitée en pédopsychiatrie et orthophonie en France.

 

Conclusion

Parmi les enfants d’un même niveau scolaire en France, une différence d’âge de quelques mois (effet d’âge relatif) a un impact considérable sur la fréquence d’initiation du méthylphénidate mais aussi de l’orthophonie. Deux hypothèses pourraient expliquer ce résultat 1) une non-adaptation des attentes pédagogiques à l’âge relatif et au niveau de maturité neurologique des enfants 2) un repérage plus précoce des troubles neurodéveloppementaux chez les plus jeunes enfants de chaque classe d’âge aux dépens des plus âgés. Les mécanismes probables sont la pression du système éducatif et l’offre de soins contrainte notamment médico-psycho-pédagogique et pédopsychiatrique. Les enseignants, les médecins prescripteurs et les orthophonistes devraient être conscients de la possibilité qu’une immaturité relative liée à l’âge réel (et non par rapport à ses camarades de classe) soit diagnostiquée par excès comme un TDAH ou un trouble spécifique du langage et des apprentissages et ajuster leurs pratiques d’enseignement, de diagnostic et de prise en charge thérapeutique en conséquence. De même, une maturité relative par rapport à l’âge réel (notamment chez les enfants les plus âgés de la classe) pourrait conduire à un retard ou à un sous-diagnostic du TDAH ou de troubles spécifiques du langage et des apprentissages.

Téléchargement du rapport d'étude

Effet de l’âge relatif sur l’initiation d’un traitement par méthylphénidate et sur le recours à l’orthophonie en France chez les enfants de 5 à 10 ans