Covid-19 : antipaludéens et formes graves ou létales
Utilisation au long cours d’antipaludéens de synthèse et risque de survenue de formes graves ou létales de la COVID-19. Etude de pharmaco-épidémiologie à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS)
L’épidémie de COVID-19 est une pandémie mondiale avec plus de 9 millions de cas signalés au 26 juin 2020, dont près de 485 000 décès. Des traitements efficaces seraient nécessaires de toute urgence, et actuellement plus de 600 essais cliniques sont en cours à travers le monde. L’efficacité des antipaludéens de synthèse (hydroxychloroquine HCQ ou chloroquine) associés ou non à l’azithromycine est débattue depuis le début de la pandémie. Peu d’études ont évalué l’action préventif de ces produits sur l’infection à COVID-19.
L’objectif de cette étude était d’évaluer le risque d’hospitalisation, le risque d’intubation oro-trachéale et le risque de décès pour COVID-19 chez les patients utilisant des antipaludéens de synthèse (APS) au long cours et de les comparer aux risques en population générale.
Deux types d’études complémentaires ont été réalisées : une étude de type «observé – attendu» (étude 1) et une étude de cohorte exposés/non-exposés (étude 2).
Le travail a été réalisé à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS) et des informations recueillies à partir des séjours hospitaliers (PMSI) liés à la COVID-19 et remontées exceptionnellement de manière hebdomadaire et accélérée. Les analyses ont porté sur les données issues de la remontée du 2 juin 2020 qui comprenait les informations de 71 901 patients hospitalisés pour COVID-19 sur l’ensemble du territoire national.
La population considérée sous APS au long cours était constituée par l’ensemble des personnes ayant reçu au moins six délivrances remboursées d’APS (HCQ ou chloroquine) entre le 1er janvier 2019 et le 15 février 2020, dont la dernière au cours du dernier trimestre 2019 ou début 2020. Cette population était constituée de 54 874 patients : 84,3% étaient des femmes, l’âge moyen était de 55,3 ans ; environ 55% résidaient dans un des territoires les plus touchés par l’épidémie (Grand Est, Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Hauts-de-France).
Étude 1
Dans une première approche, les analyses ont consisté à comparer les nombres de cas observés et attendus des différents événements d’intérêt (hospitalisation ; décès ; décès ou intubation oro-trachéale) au sein de la population traitée par APS au long cours. Les comparaisons ont été effectuées par standardisation indirecte en calculant les Ratio de morbidité/mortalité standardisé (SMR) correspondant aux rapports entre les nombres de cas observés et attendus, en considérant l’ensemble de la population française comme population de référence.
Après standardisation sur l’âge, le sexe et la région, la fréquence des hospitalisations pour COVID-19 était significativement plus élevée qu’attendu parmi les patients sous APS au long cours (SMR = 1,88 ; IC 95% : 1,54-2,25). De même, la fréquence des décès et de l’événement composite « décès ou intubation oro-trachéale » lors des séjours hospitaliers pour COVID-19 était significativement plus élevée qu’attendu (respectivement : SMR = 2,14 ; IC 95% : 1,29-3,35 et SMR = 1,99 ; IC 95% : 1,29-2,94) parmi les patients sous APS au long cours.
La même méthodologie a été appliquée à une population de patients sous méthotrexate au long cours, mettant en évidence un sur-risque d’hospitalisation pour COVID-19 (SMR = 1,77 ; IC 95% : 1,49-2,08), de décès (SMR = 1,73, IC 95% : 1,14-2,52) et de décès ou intubation (SMR = 1,75 ; IC 95% : 1,23-2,43) comparable à ce qui a été observé dans la population de patients traités par APS.
Étude 2
Une seconde analyse basée sur une étude de cohorte exposés/non exposés a été réalisée afin de prendre en compte plus finement les caractéristiques individuelles ayant pu jouer un rôle sur les risques d’hospitalisation, de décès ou d’intubation liés au COVID-19. Les sujets exposés étaient ceux identifiés précédemment (i.e. sous APS au long cours), les non-exposés étaient des personnes tirées au sort dans la population générale et appariées aux exposés sur l’âge, le sexe, le recours à la CMU-C et le département de résidence. Les risques d’hospitalisation pour COVID-19, de décès et d’intubation oro-trachéale lors des séjours hospitaliers pour COVID-19 ont été comparés entre sujets exposés et non exposés par une analyse univariée puis multivariée ajustée sur : les co-morbidités cardio-vasculaires, respiratoires, rénales, hépatiques ; l’addiction alcoolo-tabagique ; et la prise d’immunosuppresseurs, d’AINS ou de corticoïdes.
En analyse univariée, les sujets exposés aux APS avaient un risque d’être hospitalisés pour COVID-19 augmenté par rapport aux non exposés (OR = 1,89 ; IC95% : 1,49-2,40, p<10-4). Un sur-risque était aussi mis en évidence pour le risque de décès (OR = 2,48 ; IC95% : 1,35- 4,55, p =0.003) et pour le critère composite « décès ou intubation » (OR = 2,17 ; IC95% : 1,28- 3,67, p=0.004). Après ajustement, aucune différence dans les risques d’hospitalisation pour COVID-19 (ORa = 1,17 ; IC95% : 0.85- 1.61, p=0.34), de décès (ORa = 1,17 ; IC95% : 0,55-2.51, p=0.69), et de décès ou intubation (ORa = 0,85, IC95% : 0.34- 2.13, p=0.73) n’était mise en évidence entre les sujets exposés aux APS et les non exposés. Des analyses complémentaires ont permis d’identifier que les sur-risques mis en évidence en univarié parmi les patients sous APS étaient expliqués par leur exposition plus fréquente aux corticoïdes oraux. Après exclusion des patients sous corticoïdes, les risques n’étaient pas différents entre les sujets exposés aux APS et les non exposés.
Conclusion
Les résultats mettent en évidence un sur-risque d’hospitalisation, d’intubation et de décès liés au COVID-19 parmi les patients sous APS au long cours par rapport à la population générale française. Les analyses réalisées suggèrent que ce sur-risque est expliqué par les caractéristiques liées à la pathologie chronique sous-jacente justifiant l’utilisation des APS au long cours, notamment la co-médication par corticoïdes oraux, plutôt que par l’exposition aux APS elle-même.
Ces résultats ne suggèrent pas de rôle préventif de l’utilisation des antipaludéens de synthèse au long cours sur le risque de survenue d’une hospitalisation, d’une intubation ou d’un décès liés au COVID-19.
Même si la nature observationnelle de l’étude ne permet pas de conclure formellement à l’absence de bénéfice des antipaludéens de synthèse pour la prévention d’une forme sévère de COVID-19, ces résultats ne plaident pas en faveur d’une utilisation préventive de l’hydroxychloroquine dans la population, y compris la population la plus à risque, et ce en dehors d’essais thérapeutiques dédiés.
Retrouvez le rapport sur l’utilisation au long cours d’antipaludéens de synthèse et risque de survenue de formes graves ou létales de la COVID-19